« Il faut jouer des jeux des autres pour y trouver son propre intérêt »
Olivier Baisnée, maître de conférence en science politique à l’IEP de Toulouse, a accepté pour la troisième année consécutive de« coacher » les rôles médias dans le cadre du Brussels’ World Simulation. Il répond à nos questions.
Ses recherches portent sur la sociologie du journalisme et de la communication. Olivier Baisnée a notamment réalisé sa thèse sur les correspondants à Bruxelles. Il est donc le profil idéal pour aider nos journalistes de la bulle européenne à trouver leur place.
Pourquoi avez-vous accepté d’accompagner les étudiants qui jouent le rôle des médias dans le cadre du BWS ?
J’interviens déjà à Sciences Po Aix dans le Master Politiques Européennes et dans le Master Communication sur ces questions-là. J’essaye d’expliquer aux étudiants les enjeux liés à la présence des journalistes dans le jeu politique européen. Et puis, parmi mes casquettes, je suis aussi formateur de journaliste, je dirige le Master journalisme de l’IEP de Toulouse. C’est donc un projet qui était aussi pédagogiquement intéressant pour moi.
Comment va se dérouler le coaching pour les étudiants concernés ?
Je les vois à distance mercredi prochain, afin de leur présenter ce qu’est le journalisme à Bruxelles (séminaire du 17 novembre, de 12h30 à 13h30, NDLR). Et ensuite, cela fonctionnera à la demande. Idéalement, j’organiserai des séances collectives parce que je me rends souvent compte que les étudiants ont des questionnements communs. Jusqu’aux plénières, on essayera donc de bloquer quelques rendez-vous réguliers.
Quel sera votre principal conseil aux étudiants chargés d’incarner les médias ?
Le journaliste a un privilège : quand il pose une question, il a droit à une réponse. Il a aussi le droit de dire que la personne n’a pas répondu. Il faut utiliser ce privilège. Cela ne veut pas dire qu’il faut poser n’importe quelle question mais qu’il faut jouer de la concurrence entre les acteurs, il faut les mettre en contradiction. En plus, l’avantage de Bruxelles c’est que le jeu est beaucoup plus ouvert qu’au niveau national, il y a plus de sources, et d’intérêts non-convergents. Par exemple, au niveau européen, le Conseil des Ministres représente vingt-sept sources différentes, qui vont vous raconter ce qu’il se passe avec leur point de vue. Vous n’avez pas ça au niveau national. D’ailleurs, c’est une position assez inconfortable pour les ministres français.
Alors, y a-t-il une spécificité du journalisme au niveau européen ?
A Bruxelles, les journalistes sont des généralistes spécialisés. Ils doivent pouvoir traiter de tout, depuis l’économie jusqu’à la santé, en passant par l’environnement. Cela suppose une certaine souplesse. Et puis, ils sont aussi confrontés à une difficulté majeure : ils doivent raconter les histoires d’une histoire que pas grand monde ne maîtrise, celle de l’Union Européenne et de ses institutions. Ils doivent trouver, parmi tous les sujets discutés au niveau européen, ceux qui peuvent intéresser leur audience. C’est une vraie difficulté, parce qu’il se passe un nombre incroyable de choses à Bruxelles. Et les journalistes sont souvent seuls face à tout cela.
Selon vous, qu’apporte le jeu aux étudiants, et notamment à ceux d’entre eux qui endossent le rôle de journalistes ?
Je trouve ça super. Je pense que c’est une vraie occasion d’incarner le jeu européen, sinon cela peut rester un peu abstrait. Les médias, qui sont les seuls à ne pas avoir d’intérêt à défendre, doivent raconter cette lutte d’intérêts. Ils font autant partie du jeu que les autres parce que ces derniers cherchent à mettre en avant leurs intérêts via les médias. Cette position peut paraître inconfortable mais elle est classique du travail journalistique. C’est même tout l’intérêt d’être journaliste que de jouer des jeux des autres pour y trouver son propre intérêt. Il ne faut pas être naïf mais se servir professionnellement de ces luttes d’influence. C’est très professionnalisant parce que c’est ce à quoi les journalistes, que ce soit au niveau européen, ou à tous les autres niveaux, sont confrontés au quotidien.
Propos recueillis par Clara Grouzis